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Relance franco-allemande : un peu de bon, peu d’ambition, une grosse erreur

Image par Maheshkumar Painam de Unsplash Relance franco-allemande : un peu de bon, peu d’ambition, une grosse erreur
Image par Maheshkumar Painam de Unsplash

Euronomics sur euradio est une émission du Joint European Disruptive Initiative (JEDI), think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est Senior Fellow.

Victor Warhem, vous êtes Senior Fellow à la Joint European Disruptive Initiative (JEDI), précurseur d’une agence européenne pour l’innovation de rupture, et Manager chez Datenna, entreprise fournissant une plateforme d’intelligence économique sur la Chine. C’est l’heure de la rentrée, et comme toutes les rentrées, l’agenda est chargé, Victor Warhem.

Oui Laurence, un plaisir de vous retrouver en cette rentrée ! L’agenda franco-allemand, en particulier, est chargé car, comme promis, Macron et Merz ont décidé de relancer le couple franco-allemand après la victoire des chrétiens démocrates en février dernier. Cela s’est concrétisé le 29 août dernier, à Toulon, où un conseil des ministres franco-allemand s’est tenu et a adopté toute une série de mesures qui peuvent être perçues comme une véritable relance du moteur franco-allemand et de l’Europe.

Qu’avez-vous retenu de ces mesures, Victor Warhem ?

Commençons si vous le voulez bien par ce qui m’a plu chère Laurence. En matière de média, j’applaudis à deux mains l’européanisation de la chaîne Arte, qui pourrait poser les bases d’un vrai soft power culturel européen. Si les fonds dédiés à l’audiovisuel sont davantage mutualisés en Europe, nous pourrions plus facilement nourrir la fascination de notre modèle européen, comme les Américains le font souvent avec brio dans leurs propres productions. C’est vital pour l’attractivité du continent.

Et s’agissant des sujets un peu plus économiques ?

De ce côté-là, rien de vraiment spectaculaire cependant, alors qu’on attend la relance franco-allemande plutôt dans ce domaine, au moment où l’Europe peine à sortir d’une phase de stagnation. On peut noter plus d’interconnexions électriques, l’organisation d’un sommet européen sur la souveraineté numérique en novembre ou encore la pérennisation des programmes franco-allemands d’armement pour le char du futur, ou encore pour l’avion du futur. Le soutien à l’Ukraine, par ailleurs devrait être renforcé.

D’accord, mais admettant que Macron reste cependant en pouvoir jusqu’en 2027, il lui reste environ un an pour faire avancer l’Europe avec Merz. Que peut-il faire durant ce lapse de temps ?

Vous avez raison de souligner ma chère Laurence que nous n’en avons pas terminé avec l’ère Merzon, qui apparait, comme je le défendais au début de l’année, comme l’une des dernières “fenêtres de tir” pour mener l’Europe sur la voie de la souveraineté économique et technologique.

À ce titre, il se peut que les dirigeants français et allemands souhaitent s’inspirer des mesures prônées à l’occasion de ce même sommet de Toulon par des économistes français et allemands. En effet, cinq mémos thématiques, portant sur la défense, l’énergie, la productivité, l’emploi et le commerce avec la Chine, ont été produits dans ce contexte.

Que contiennent ces mémos, Victor Warhem ?

En matière de défense, le mémo recommande la création de programmes “duaux” européens par exemple dans la robotique, l’IA, ou l’espace, tout en promouvant une plus grande flexibilité dans la commande publique. En matière d’énergie, sujet franco-allemand plus délicat, un alignement est promu sur le renouvelable avec la création d’enchères communes ou celle d’un conseil bilatéral de l’énergie. En matière de productivité, l’idée d’une agence franco-allemande pour l’innovation de rupture est avancée ! Je ne boude pas mon plaisir. Et comme toujours, la nécessité d’une union des marchés de capitaux et d’un 28ème régime est encore affirmée.

Enfin, je passe sur l’emploi pour me concentrer sur le dernier mémo, qui me concerne au premier chef, celui sur le commerce avec la Chine.

Que défend cet ultime mémo ?

Ma chère Laurence, ce dernier mémo contient peut-être la recommandation la plus emblématique de ce groupe de travail. Il est en effet défendu l’idée qu’il faut ouvrir plus amplement nos marchés non stratégiques aux investissements chinois en échange de transferts de technologie de leur part.

En quoi cette mesure est emblématique ?

Eh bien tout simplement parce qu’admettre que nous avons besoin de transferts de technologie pour rester à la page revient à admettre que nous sommes de nouveaux des pays en développement ! Nous ne sommes manifestement plus à la frontière technologique dans de nombreux secteurs et avons désormais besoin de l’”aide” de pays plus avancés. Quels désaveux de nos politiques économiques de ces trente dernières années.

Par ailleurs, comment penser une seule seconde que les Chinois consentiront à nous fournir leurs technologies ? Pour mémoire, la Chine n’a jamais cru à la réciprocité dans les relations internationales. Cette mesure est donc aussi emblématique par son immense naïveté. Si nous ouvrons nos marchés plus amplement aux Chinois, ils ne feront que renforcer des dépendances déjà intenses, sans nous aider technologiquement le moins du monde.

Que concluez-vous de tout cela, Victor Warhem ?

Ma chère Laurence, une fois n’est pas coutume, ce qui devait s’apparenter à une véritable relance européenne présente et future déçoit tant par son ampleur que par son contenu. Il y a un peu de bon, mais cela ne suffit pas à compenser les erreurs et le manque d’ambition. Nous nous mettons sur une trajectoire de dépendance à l’égard des Chinois et des Américains.

Et si nous continuons comme cela, où serons-nous dans 20 ans ? Eh bien, nous bénéficierons peut-être d’investissements chinois et américains accrus, nous aurons peut-être un peu de prospérité par effet de ruissellement international, mais nous aurons très largement perdu notre souveraineté. Comme dirait l’économiste Dani Rodrik, nous aurons choisi la mondialisation et la démocratie, aux dépens de la souveraineté. Démocratie qui ne nous servira plus, soyons lucides, qu’à arbitrer entre les intérêts chinois et américains.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.