Elise Bernard, docteur en droit public et enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque lundi sur Euradio les implications concrètes de l'État de droit dans notre actualité et notre quotidien. Ses analyses approfondies, publiées sur la page Europe Info Hebdo, offrent un éclairage précieux sur ce pilier fondamental de l'Union européenne.
L’Etat de droit européen a marqué les esprits ces dernières années avec des législations strictes dans le domaine du numérique pour garantir la protection de ses citoyens et lutter contre les monopoles mais les géants de la Tech américaine et leur président clôturent ces vacances d’été en déterrant la hache de guerre !
C’est vrai que l’apaisement auquel on a pu croire avec la venue des représentants européens à Washington, après la conclusion du fameux « accord commercial » aura été de courte durée.
Dès le 25 août,Donald Trump surprend encore et fustige les Européens : « Les taxes ou la législation sur les services numériques, et les réglementations sur les marchés numériques, sont toutes conçues pour discriminer ou nuire à la technologie américaine », explique-t-il sur son réseau Truth Social.
Oui. Ces critiques visent directement les règlements européens sur les services numériques (DSA) et les marchés numériques (DMA). Ces deux législations visent à limiter la diffusion en ligne de contenus et produits illicites ainsi que la domination économique des grandes plateformes. On en a déjà parlé.
Cette menace de Trump a déjà été prise au sérieux par le Canada qui, le 29 juin dernier, a retiré sa taxe sur les services numériques pour mettre fin à son opposition aux Etats-Unis.
Le 25 août, Donald Trump ne cite aucun Etat en particulier. Mais, sans aucun doute, c’est l’Union européenne qui est visée ici. D’abord parce que l’UE représente le premier marché des géants de la Tech américaine. Avec 810,4 milliards de dollars d’importations et 649,2 milliards d’exportations, l’Union demeure le premier partenaire commercial global des États-Unis.
La balance commerciale est donc actuellement déficitaire pour les États-Unis vis-à-vis de l’Union.
Exact, l’objectif est donc, pour Washington, de rééquilibrer la balance en favorisant ses acteurs économiques de la tech. L’alliance entre D. Trump et la Silicon Valley pendant la campagne électorale laissait présager cette direction : les nouveaux contours de l’hégémonie américaine sont désormais clairs.
La législation européenne, particulièrement protectrice, amoindrit la présence des géants du numérique américains en Europe et ceux-ci sont en croisade pour ne plus y être soumis.
La série de textes européens, héritage du passage de Margrete Vestager et Thierry Breton à la Commission, restreignent la progression bénéficiaire de la Silicon Valley. Les enquêtes ouvertes sur les manquements au DSA et au DMA font peser sur X, Meta, Alphabet et Apple, des amendes pouvant atteindre 10 % du chiffre d’affaires mondial pour le DMA, 6 % pour le DSA. En avril 2025 déjà, la Commission européenne a infligé à Apple et Meta des amendes de 500 et 200 millions d’euros respectivement pour non-respect du DMA.
Quelles sont les réponses en provenance d’Europe face à cette déclaration de guerre économique ?
Un peu décevantes je trouve depuis Bruxelles. La Commission européenne répond le 26 août qu’« Il est du droit souverain de l’UE et de ses États membres de réglementer les activités économiques sur notre territoire dans le respect de nos valeurs démocratiques ».
La commissaire Henna Virkkunen envisage de développer nos propres capacités technologiques, par le biais de trois axes prioritaires de développement : l’intelligence artificielle, l’informatique quantique et les semi-conducteurs.
Cela n’annonce pas vraiment de réponse à la menace.
En effet. On relève cependant que le président français estime que ces nouvelles menaces de droits de douane, liées à la tech, constituent une « coercition » à laquelle les Européens répliqueront. Et là, la formule ne semble pas choisie au hasard.
L’objectif serait de mettre en œuvre l’ »instrument anti-coercition« , en vigueur depuis décembre 2023, destiné à dissuader les Etats tiers tentés d’exercer des pressions commerciales pour des raisons politiques. L’issue du tour des capitales du président du Conseil européen, Antonio Costa, devrait apporter plus d’éléments tangibles sur la riposte européenne.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.