Smart cities, smart citizens

Les Smombies

© Wikimedia Commons - AlphaWhisky (Un panneau allemand et d'avertissement humoristique sur les Smombies) Les Smombies
© Wikimedia Commons - AlphaWhisky (Un panneau allemand et d'avertissement humoristique sur les Smombies)

Une chronique de Christine Le Brun, Experte Smart Cities & Places chez Onepoint, où nous parlerons de villes, d’outils et de technologies numériques, de données, mais aussi des citoyens et de ceux qui font les villes.

Aujourd’hui vous vouliez nous parler d’une nouvelle créature qui a fait son apparition dans les villes : les smombies. Mais quel est cet animal étrange ?

Laurence, au regret de vous effrayer, il se pourrait bien que le smombie ce soit vous ou moi, ou nos ados, du moins de temps en temps. Ou peut être est-ce ce qui nous attend si nous n’y prêtons pas attention. Le smombie est une « espèce hybride, à cheval entre le réel et le virtuel, mi-homme, mi-smartphone ». Cette définition est celle de Hubert Béroche, un expert de l’IA et de la smart city, qui a écrit tout un livre sur le sujet. Mais nous devons en fait ce néologisme, contraction de smartphone et de zombie, aux Allemands, qui l’ont officialisé la première fois en 2015. J’adore cette innovation linguistique, qui m’amuse et que je trouve particulièrement bien trouvée, même si la réalité qui se cache derrière me plait beaucoup moins.

Ce ne serait pas un peu violent quand même, cette assimilation ?

Je vous l’accorde Laurence, ce n’est peut-être pas très bienveillant. Mais entre vous et moi, il ne vous est jamais arrivé de pester contre cette personne qui vous rentre dedans dans la rue parce qu’elle est TELLEMENT captivée par ce qui se passe sur son petit écran ? Ou ce piéton qui traverse tranquillement devant votre vélo ou votre voiture, sans même se rendre compte qu’il vient de frôler la mort ? Je suis sûre que ça sent le vécu… Et bien sachez qu’à Séoul par exemple, 61% des accidents de la route impliquent un piéton en train d’utiliser son smartphone. C’est beaucoup ! Vraiment beaucoup.

Je vois où vous voulez en venir. Est-ce que cela signifie que la ville intelligente va devoir s’adapter aux smombies et en tenir compte à l’avenir ?

Elle le fait déjà dans certains endroits, en Asie en particulier. Certaines villes ont par exemple installé des bandes lumineuses au sol, qui passent du vert au rouge pour signaler le passage des véhicules. Comme ça, plus besoin de relever la tête ! Pratique non ? Encore plus fort, en Corée, il existe une appli qui détecte les obstacles en couplant la caméra frontale des smartphones, à de la reconnaissance d’image, et alerte l’utilisateur… qui a encore moins de raisons de relever la tête ! Les ingénieurs ont du bien s’amuser pour mettre ça au point. 
Un autre type d’aménagement spécial smombie a vu le jour récemment : les « phone lanes ». Qu’est-ce donc ? Eh bien tout simplement, ce sont des rues piétonnes réservées aux utilisateurs actifs de smartphone. On en trouve en Chine, mais aussi chez nos amis belges à Anvers...

Et la question qu’on se pose c’est donc : est ce que tout cela est bien raisonnable ? Quel est l’enjeu derrière ce qualificatif qui prête à sourire ?

Il y a en effet un vrai enjeu de société, et de sécurité vis à vis du phénomène. On est bien dans le questionnement de comment la ville doit s’adapter à cette évolution de la société. Remarquez au passage qu’ici, c’est à cause de certaines de nos pratiques du numérique que la ville doit s’adapter. Alors que souvent je vous ai plutôt parlé du numérique comme un outil qui aide à apporter des solutions vis-à-vis des enjeux de transformation. De quoi se poser quelques questions existentielles…

Est-ce que cela veut dire qu’il faudrait penser à réguler l’usage des smartphones en ville ? Voire les interdire ? Plutôt que d’imaginer des aménagements potentiellement couteux ?

Certains l’ont expérimenté, comme le village de Seine-Port en Seine-et-Marne. En février 2024, il s’est déclaré « la première commune sans smartphone » de France, à l’issue d’un vote local. Malheureusement pour eux, l’arrêté a été jugé illégal et le maire l’a retiré quelques mois plus tard.

Quelles sont donc les alternatives ?

Il y a matière évidemment à prendre un peu de recul par rapport à ce phénomène, et à nuancer les choses pour se poser les bonnes questions. C’est ce que fait Hubert Beroche, dans son livre « Smombies : La ville à l’épreuve des écrans ». Son propos est de dire que tous les écrans ne sont pas égaux, et toutes les applications non plus. Les services de géolocalisation et de mobilité sont indiscutables. Les tutos de maquillage, la nouvelle choré de votre cousin ou la dernière trouvaille de votre influenceur préféré, le sont moins. En tout cas quand vous devez naviguer entre vélos, piétons, trottinettes, poussettes et voitures.

Et donc, qu’est ce qu’on fait ?

Bon, personne n’a la solution. Mais certains réfléchissent et testent des choses. Pour Hubert Beroche, l’enjeu est avant tout que la ville parvienne à détourner l’attention des citadins, pour la rediriger vers des alternatives. Cela passe par l’aménagement de l’espace public, les espaces verts, les aires de jeux ou de sport qui favorisent les rencontres dans le monde réel. La sensibilisation est naturellement aussi au cœur du sujet. Plusieurs villes comme Bordeaux ou Noisy le Grand se sont engagées dans le programme « Screenless cities » qui va justement expérimenter comment ville, données et intelligence artificielle peuvent interagir et apporter de la valeur, sans passer par les écrans. Bon courage entre nous, mais très intéressant. Si vous voulez en savoir plus, je vous invite à lire l’article que l’excellent magazine Usbek & Rica a consacré au sujet et dont nous mettrons le lien sur le site du podcast.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.

Usbek & Rica - « Smombies » : comment sortir les villes de l’addiction aux écrans ?