Euronomics sur euradio est une émission du Joint European Disruptive Initiative (JEDI), think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est Senior Fellow.
Aujourd’hui, vous allez nous parler des récentes évolutions en matière d’Europe de la Défense, en vue notamment du sommet de l’OTAN qui a lieu la semaine prochaine.
Oui Laurence, un important sommet de l’OTAN a lieu la semaine prochaine dans la mesure où sera discuté entre autres le besoin de passer de 2% à 5% du PIB en dépenses de défense pour les membres de l’Alliance atlantique, et pour faire face à cette hausse, les Européens s’organisent pour développer la Base Industrielle et Technologique de Défense européenne, la fameuse BITDE.
Comment en est-on arrivés là, Victor Warhem ?
Alors que 2025 consacre l’atteinte de l’objectif de 2% du PIB en moyenne de dépenses de défense pour les membres de l’Alliance atlantique, objectif fixé en 2014, Donald Trump, après sa réélection, a affirmé qu’il fallait désormais viser un objectif de 5%, dans la mesure où les États Unis ne semblent plus vouloir assumer seuls ou presque la défense du continent européen, face à l’essor des menaces russes et chinoises. Il est désormais même question de réduire la présence militaire américaine en nombre d’hommes en Europe.
Quelles sont d’emblée les conséquences de ce revirement américain en Europe ?
Outre la chute du gouvernement allemand qui a mené à l’élection de Merz et au plan allemand de 500 Md EUR dans la défense, le plan européen ReArm EU, permettant aux États Membres de s’exonérer du respect des règles budgétaires du Pacte de Stabilité et de Croissance en matière de dépenses de défense à hauteur de 1,5% du PIB pour les quatre années à venir, est également une conséquence du retour de Trump au pouvoir.
Trump est donc le seul catalyseur de changements en matière de défense en Europe ?
Non, avant même son élection, le programme de la Commission européenne prévoyait d’accorder une bien plus grande place aux dépenses de défense en raison notamment du besoin de financer le front ukrainien. C’est notamment la raison pour laquelle la Commission s’est dotée d’un Commissaire à la Défense en la personne d’Andrius Kubilius.
Par ailleurs, le programme SAFE, pour les achats communs trans-sectoriels européens, le Fonds Européen de Défense plutôt porté sur l’innovation, et le programme EDIP, focalisé exclusivement sur la défense à hauteur de 1,5 Md EUR, ont également été mis en place avant 2025, signe que Trump n’a fait qu’accentuer une tendance à l’européanisation de la défense préexistante.
L’Europe va-t-elle donc devenir autonome en matière de défense, avec le soutien des États-Unis ?
Ça n’est malheureusement pas aussi simple ma chère Laurence ! L’Europe a énormément de chemin à faire pour devenir plus autonome en la matière, dans la mesure où l’essentiel de ses achats de défense reste américain. Selon le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), les États-Unis représentaient encore près de deux tiers des importations européennes d’armes entre 2020 et 2024, contre un quart pour les importations intra-européennes.
Les systèmes de défense européens restent donc pour la plupart extrêmement transatlantiques, et les tensions actuelles n’y changent rien. Cela explique la récente lettre de 10 États-Membres défendant une ouverture accrue du programme EDIP aux achats de défense non-européens.
Pourtant les Européens développent des programmes technologiques militaires communs, non ?
C’est vrai, nous avons l’avion du futur, le SCAF, le char du futur franco-allemand, le MGCS, Iris Squared pour les satellites de télécommunication stratégique ... Nous avons déjà évoqué tout cela. Néanmoins, ces projets européens ne masquent pas deux problèmes cruciaux. D’une part, la difficulté à avancer avec de nombreuses entités impliquées sur ces projets communs. Par exemple, le SCAF implique 14 entreprises différentes, Iris Squared 10 ! Cette difficulté est aussi une résultante des équilibres politiques transnationaux qui cherchent le plus possible à préserver les intérêts industriels nationaux aux dépens d’un potentiel intérêt supérieur européen.
Le second problème n’est qu’un corolaire du premier : là où les Américains ne comptent que 30 systèmes d’armement pour leurs armées, l’Europe en compte plus de 150, avec un niveau d’investissement en R&D annuel risible par rapport aux Américains, qui mettent désormais environ 150 Md USD chaque année pour repousser la frontière technologique.
Aujourd’hui dans l’IA de défense, Palantir, Anduril et d’autres entreprises américaines tiennent le haut du pavé, tandis que les Européens tirent difficilement leur épingle du jeu. À cela s’ajoute enfin un volume de dépenses annuelles de défense en Europe moins de moitié moindre – environ 400 Md EUR – par rapport aux États-Unis, et ce malgré les plans évoqués plus haut.
Où va donc l’Europe de la défense, Victor Warhem ?
Alors que l’ambition était élevée il y a quelques mois, le sommet de l’OTAN de la semaine prochaine devrait consacrer une Europe de la défense à l’autonomie restreinte vis à vis des États Unis, avec un maintien, voire peut-être même un renforcement du lien transatlantique malgré les discours véhéments de Trump dans un sens, ou de Macron dans l’autre.
Oui, nous serons en mesure de mieux nous protéger seuls vis à vis de la Russie notamment. Mais nous ne nous donnons pas les moyens de rivaliser réellement en matière d’innovation ou de production de défense vis à vis des États Unis.
L’Europe continue d’accepter une forme d’assujettissement au moment où la confrontation entre les États-Unis et la Chine pourrait prendre une nouvelle dimension, sur fond de guerre froide technologique et de course à l’intelligence artificielle supérieure.
Merci Victor Warhem et à la semaine prochaine !
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.