Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Donald Trump était au centre de l’attention au Sommet de l’Otan qui s’est tenu cette semaine à La Haye. Est-ce que les Européens en font trop pour amadouer le Président américain ?
Trump a été accueilli presque comme un héros par certains, notamment le Secrétaire général Mark Rutte qui tentait de gagner les faveurs du Président américain et de l’amadouer avant le Sommet. Ça peut paraître paradoxal après des années d’invectives contre l’OTAN. Mais ça montre surtout le rôle plus central que jamais que joue les Etats-Unis dans l’organisation. Les exigeances de Donald Trump sont de plus en plus écoutées : il exige que les Européens « paient leur part » et il menace implicitement de se désengager en cas de conflit puisqu’il remet en cause l’article 5. Son influence pousse les Européens à agir, certes, mais par crainte d’un retrait américain plus que par conviction stratégique. Cette relation déséquilibrée reste problématique.
Les Européens sont-ils enfin prêts à assumer leur part de la défense collective ?
Oui, mais dans des proportions encore très inégales. Le sommet de La Haye a été l’occasion de souligner une hausse historique des budgets militaires européens. Quinze États membres de l’OTAN ont désormais atteint — ou dépassé — les fameux 2 % de PIB. C’est une vraie inflexion. Mais l’effort reste encore très variable d’un pays à l’autre, et surtout, il se fait dans l’urgence. Beaucoup dépensent plus, sans toujours mieux dépenser ni coordonner leurs investissements, ce qui limite l’impact stratégique global.
Le sommet relance-t-il vraiment le « pilier européen » de l’OTAN ?
C’est la question-clé. Emmanuel Macron l’avait dit dès 2019 : si l’Europe ne s’organise pas, l’OTAN sera en état de « mort cérébrale ». Aujourd’hui, on sent une volonté renouvelée de renforcer le pilier européen — une autonomie de projection et de décision à l’intérieur même de l’Alliance. Mais cela nécessite de la cohérence, de l’interopérabilité, et surtout une ambition politique commune. Tant que les Européens dépendent massivement des équipements américains et du parapluie nucléaire de Washington, leur marge d’autonomie restera limitée.
Dans ce contexte, quel est le climat au sein des pays les plus exposés, comme la Finlande ?
La Finlande est emblématique de cette tension. Entrée dans l’OTAN en 2023 avec la Suède, elle partage une frontière directe avec la Russie. Et malgré les garanties de l’Alliance, un doute plane. La question que beaucoup se posent, y compris dans la société civile, est simple : si une attaque avait lieu, les États-Unis interviendraient-ils vraiment, surtout sous une présidence Trump ? C’est tout le paradoxe : l’OTAN a élargi sa zone de protection, mais son cœur politique semble plus incertain qu’il ne l’a jamais été.
Peut-on dire que ce sommet renforce l’OTAN ou révèle ses fragilités ?
Les deux à la fois. D’un côté, le sommet a montré que l’OTAN reste un acteur central de la sécurité européenne, capable d’adapter ses priorités, notamment face à la Russie. De l’autre, il a mis en lumière une vérité inconfortable : sans clarification de l’engagement américain, l’Alliance repose sur une ambiguïté stratégique. Et plus largement, ce sommet illustre une crise du multilatéralisme : fragmentation des positions, affaiblissement du droit international en Ukraine, à Gaza, en Iran… À défaut d’unité politique, nous risquons un monde régi non par des règles, mais par des rapports de force.
À plus long terme, peut-on imaginer une transformation de l’OTAN, voire un nouveau modèle de sécurité collective si les équilibres transatlantiques continuent à se fragiliser ?
C’est une possibilité qu’il faut sérieusement envisager. L’OTAN ne disparaîtra pas du jour au lendemain, mais son rôle pourrait évoluer profondément. Si les États-Unis réduisent durablement leur engagement, les Européens devront choisir : soit assumer davantage de responsabilités au sein de l’Alliance, soit construire en parallèle une véritable capacité autonome — un pilier stratégique européen crédible. On pourrait aussi voir émerger des formats de sécurité régionaux plus flexibles, des coalitions de volontaires, ou une intégration renforcée autour de projets industriels et opérationnels communs. Mais cela suppose une volonté politique forte et surtout une confiance mutuelle entre Européens, qui aujourd’hui reste incomplète. En somme, le sommet de La Haye ne signe pas la fin de l’OTAN, mais il pose une question essentielle : voulons-nous continuer à dépendre d’une garantie extérieure toujours plus incertaine, ou sommes-nous prêts à bâtir une architecture de sécurité européenne capable de se tenir sur ses propres jambes ? C’est cette bascule qu’il faudra trancher. Et nous n’avons pas un temps infini pour le faire…
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.
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