Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
La semaine dernière, Ursula von der Leyen a prononcé son traditionnel discours sur l’état de l’Union devant le Parlement européen. Qu’est-ce que vous en retenez ?
Il faut rappeler que ce discours sur l’état de l’Union, inspiré du modèle américain, est devenu un rendez-vous annuel depuis 2010. C’est le moment où la Commission expose sa vision stratégique, devant les députés européens, et tente de mobiliser un cap commun. Cette année, le contraste était frappant : beaucoup d’initiatives annoncées, mais un Parlement très fragmenté et une Présidente affaiblie. Tout au long de son discours, la Présidente de la Commission a tenter de défendre son bilan et d’appeler à l’union des forces pro-européennes.
Avez-vous remarqué des évolutions par rapport à son discours de juillet 2024 juste après sa réélection ?
Oui, il y a des évolutions notables. Sur l’énergie d’abord : plus de souplesse vis-à-vis du nucléaire, en ligne avec le virage du gouvernement allemand d’ailleurs. Sur Israël ensuite : Ursula von der Leyen s’aligne désormais sur la position de l’ONU et va jusqu’à proposer une suspension du soutien financier. Enfin, ce discours est plus programmatique que celui de 2024 avec beaucoup de propositions, mais sans vraie ligne directrice pour autant. En revanche, on retrouve la même volonté d’unir le bloc central pro-européen face à la montée des droites radicales et eurosceptiques. C’est d’ailleurs le grand défi de ce mandat. Le PPE de von der Leyen reste premier, mais affaibli. Les sociaux-démocrates et les Verts ont reculé, et c’est l’extrême droite qui a gagné le plus de sièges. Ça explique pourquoi son discours multiplie les appels au rassemblement : pour gouverner, elle devra composer en permanence avec une majorité fragile, ce qui limite sa marge de manœuvre.
Cet été, vous parliez d’« humiliations » pour l’Europe. Est-ce que cela a influencé le ton d’Ursula von der Leyen ?
Je dirais qu’elle s’est montrée prudente. Elle a défendu son bilan, sans reconnaître d’échecs. Sur l’accord commercial avec les États-Unis par exemple, elle a affirmé que l’Europe avait obtenu « le meilleur accord possible », ce qui lui a valu des motions de censure, à la fois de l’extrême droite et de la gauche radicale. On ne s’attendait pas a un mea culpa… mais pas non plus à ce qu’elle s’en félicite. Et pourtant… Sur la Russie, son discours reste inchangé : sanctions, réduction de la dépendance énergétique, mais pas de nouvelle impulsion. Enfin, étonnamment, elle a à peine évoqué la rencontre entre Poutine, Xi Jinping et Modi en Chine au début du mois. C’est un peu décevant pour un discours censé envoyer un signal international fort.
Quelle a été la résonance de ce discours au niveau francophone ? A-t-il eu un impact ?
Très faible, malheureusement. Ni les médias ni les responsables politiques ne s’y sont vraiment intéressés. Le désintérêt des citoyens s’alimente de ce manque de relais. Mais la scène politique française, focalisée sur ses querelles internes, a éclipsé un rendez-vous qui aurait dû nourrir le débat, quoi qu’on pense du contenu du discours d’ailleurs.
Ce désintérêt semble dépasser la France aujourd’hui…
Oui, on sent une lassitude citoyenne vis-à-vis des institutions européennes et surtout une déception croissante de la part des Européens. Les élections ont confirmé la progression des partis protestataires, et le discours de la Présidente ne suffira pas à recréer un lien. Ça pose une question cruciale : comment reconnecter l’UE à ses citoyens, alors qu’elle traverse des crises multiples et qu’elle devrait au contraire renforcer son unité ?
Finalement, quelle perspective tirer de ce discours ?
Ursula von der Leyen voulait montrer une Europe qui avance, qui propose, qui innove. Mais l’impression laissée est celle d’une Commission sur la défensive, fragilisée par les crises de l’été et par un Parlement plus divisé que jamais. La question est donc de savoir si elle pourra vraiment incarner une « Europe puissance » ou si elle sera condamnée à gérer au jour le jour, dans un contexte dominé par la montée des droites radicales et la pression américaine. Et c’est peut-être là le vrai enjeu : ce mandat sera-t-il celui d’une Europe qui subit ou celui d’une Europe qui se réinvente ? L’exemple espagnol sur l’autonomie stratégique, ou les initiatives numériques, pourraient devenir des laboratoires d’une nouvelle approche. Mais encore faut-il que les États membres suivent. Sans quoi, l’Union restera ce qu’on a vu cet été : un acteur impuissant sur la scène mondiale.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.