Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.
On se retrouve pour un épisode histoire consacré à la mesure du temps et des distances grâce aux étoiles. Comment utilise-t-on des boules de gaz à des années-lumières de nous pour mesurer des minutes ?
Les premières observations au début de l’humanité, avant même qu’on puisse parler de civilisations, ont été le rythme jour-nuit, avec le soleil qui se levait à l’horizon le matin, montait au milieu de la journée, et se couchait sur l’horizon opposé le soir. Et la Lune prenait le relais, avec un cycle de croissance et de décroissance visible à l'œil nu. Ce sont ces deux astres proches de nous qui ont été les premiers à pouvoir être utilisés pour mesurer le temps.
Les instruments ont évolué au fil des aires géographiques et des évolutions technologiques, mais le cadran solaire a longtemps été un formidable outil pour mesurer le temps d’une journée, avec l’ombre projetée sur le cadran par le soleil qui indiquait l’heure qu’il était. Et les cycles lunaires ont très tôt servis à mesurer le temps en mois dans différentes civilisations, ce qui permet immédiatement d’avoir une mesure du temps avec un ordre de grandeur plus important.
Est-ce que les astres restent pertinents pour ces mesures aujourd’hui, quand nous avons développé une technologie très performante ?
Oui, à plein d'égards. Déjà, on aurait pas atteint une telle performance sans se reposer sur les astres observables depuis la Terre. Des observatoires astronomiques ont été créés il y a des siècles dans plusieurs pays européens pour mesurer le temps avec précision, et permettre de régler les outils qui étaient développés pour diffuser l’heure au plus grand nombre.
Par exemple, l’observatoire astronomique de Franche-Comté, près de Besançon dans l’est de la France, a été fondé pour fournir une base de temps fiable aux horlogers comtois. Ce qui a aussi permis d’asseoir la supériorité de la région dans ce domaine et d’assurer son bon développement économique.
Ensuite, ça reste pertinent aujourd’hui sur la mesure du temps, mais plus comme avant 1955, quand est inventée l’horloge atomique. Le temps est une mesure relative, qui n’a pas la même valeur partout.
Le temps ne passe pas à la même vitesse partout ?
Absolument. Le temps est influencé par la gravité, a théorisé Albert Einstein au vingtième siècle. Plus on est proche du centre de la Terre, plus le temps passe lentement. Donc aux plus hauts sommets de la planète, le temps passe plus vite. Et si on poursuit la logique…
Le temps passe plus vite en orbite que sur Terre.
C’est ça. C’est pour ça que ça présente un intérêt de placer des horloges atomiques dans l’espace, toujours plus précises, pour mesurer la différence de temps avec celles sur Terre. Il y a un intérêt théorique pour les physiciens à vérifier les théories d’Einstein sur la relativité générale et il y a un intérêt aux applications civiles, puisqu’en améliorant les repères temporels des signaux de position des GPS, on réduit les marges d’erreur des distances. C’est dans le cadre du programme ACES que le dernier modèle d’horloge atomique, Pharao, a été placé sur l’ISS pour aider à améliorer notre mesure des distances par des mesures de temps.
Qu’est-ce qu’il y a de plus précis qu'une horloge atomique ?
Les pulsars. Ce sont des étoiles à neutrons très denses, qui tournent sur elles-mêmes extrêmement rapidement et régulièrement, encore plus régulièrement que les horloges atomiques. Et elles pulsent –d’où leur nom– un rayonnement qui est détecté par nos appareils, ce qui permet de nous en servir pour mesurer le temps aussi.
Et pour la distance, quel usage fait-on de l’astronomie ?
La mesure des distances, c’est encore plus complexe que le temps par plein d’aspects. Là où le temps est relatif, ce n’est pas le cas des distances, mais il n’y a pas un système universel, même si c’est le système métrique qui est utilisé comme ordre de grandeur à l’échelle internationale par les scientifiques. Depuis qu’on a des outils d’observation astronomique suffisamment performants, la distance Terre-Lune et Terre-Soleil ont été utilisés comme base pour les distances immenses qui séparent les astres, d’où le terme d’unité astronomique, qui est la distance entre la Terre et le Soleil, environ 150 millions de kilomètres. Sauf que ‘environ’, quand on veut envoyer une sonde orbiter autour d’un satellite de Jupiter, ça n’est pas assez précis.
Quel est l’équivalent du pulsar pour la mesure des distances ?
Ce sont les chandelles standard. Ce sont des astres qui ont une luminosité fixe bien connue, les plus utilisés sont les supernovas de type 1A. Et comme on connaît exactement leur luminosité, donc combien de temps leur lumière met à nous parvenir, on connaît la distance qui nous sépare de ces objets, et ça donne une valeur étalon pour mesurer les distances avec d’autres objets. C’est beaucoup moins précis que les pulsars par contre, et il y a beaucoup de débats dans la communauté scientifique sur la fiabilité de ces valeurs.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.