Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.
Il y a quelques semaines nous avions consacré un épisode à l'ISS, la construction plus grande qu'un terrain de football qui orbite au-dessus de nos têtes et symbolise la coopération internationale depuis plus de vingt-cinq ans. Nous avions parlé de sa conception, de son assemblage et de son exploitation. Dites-nous en plus sur son avenir !
La station spatiale internationale a eu une très belle vie, qui n'est pas terminée, mais qui touche à sa fin. Elle continue d'embarquer de nouveaux projets, nous avons parlé de l'horloge atomique Pharao il y a deux semaines par exemple. Et elle continue d'accueillir des équipages internationaux, mais avec des risques de plus en plus importants.
Comment ça ?
L'ISS a été conçue pour durer, mais les modules subissent les aléas du temps et des stress en orbite, dont des micros-vibrations. Plein de particules percutent la station, des micros-débris de satellites, de minuscules morceaux d'astéroïdes, et bien sûr les rayonnements gamma du soleil, qui ne sont pas filtrés par notre atmosphère. Ces rayons sont mortellement dangereux pour les astronautes en orbite, pour les expériences réalisées, et il est crucial que l'intégrité des modules soit préservée pour que l'ISS soit habitable.
A quel point les modules sont-ils endommagés ?
La jonction avec le module russe a dû être rafistolée plusieurs fois jusqu'à être scellée récemment, à cause de plusieurs fissures qui causent des déperditions d'oxygène très importantes. Pour l'instant les astronautes ne sont pas en danger, mais le fait que les fissures aient dans un premier temps été compliquées à identifier, puis à gaffer, qu'elles ont continué de s'agrandir, que d'autres sont apparues... Ça montre une difficulté à entretenir une station vieillissante, et les multiples petits dangers qui y sont liés ne vont que continuer à s'accumuler et s'aggraver. Et les désaccords entre Roscosmos et la NASA, plus les cachotteries de Roscosmos sur les fuites, montre que la coopération est devenue sensible, voire impossible, que le lien de confiance est brisé.
C'est un triste constat pour l'emblème de la fin de la guerre froide et de la coopération internationale.
Oui, l'ISS est représentante non seulement du travail conjoint de multiples nations, et de multiples travaux scientifiques, mais aussi d'une époque où les gouvernements osaient s'engager dans des projets d'envergure, osaient miser sur des programmes de long terme en travaillant avec de multiples partenaires.
L'ISS n'aura pas de remplaçante publique, et les projets à l'étude qui la concernent aujourd'hui sont plus souvent concentrés sur comment la désorbiter plutôt que sur de nouveaux projets scientifiques.
C'est vraiment la fin, alors ?
Pas tout de suite, mais oui, la fin des contrats d'exploitation sur lesquels se sont engagés la NASA vont jusqu'à 2035, ROSCOSMOS se désengagera peut-être dès cette année, ils ont d’abord affirmé en 2022 qu’ils quitteraient le programme en 2024, puis en 2028, puis qu’ils doutaient de rester jusqu’en 2030 -- ce qui rendra de fait la station inopérable, puisque c'est eux qui s'assurent de réajuster son orbite. Ça semble difficile en l'état des choses d'exploiter l'ISS après 2030, voire même jusqu'à 2030, car la sécurité des astronautes est de plus en plus compromise, et les agences refuseront de risquer la vie des astronautes.
Que va-t-il advenir de l'ISS lorsqu'elle ne sera plus opérable ?
Elle ne peut pas être laissée en orbite, elle plongerait dans notre atmosphère avec la gravité terrestre de toute façon, et ce serait dangereux pour les constellations de satellites en orbite d'avoir cet objet immense qui se démantèle de manière incontrôlée.
Il y avait l'espoir pour certains de pouvoir ramener des modules pour les exposer dans des musées, mais ça impliquerait de désassembler les modules en orbite, c'est trop compliqué.
Finalement, SpaceX a obtenu le contrat pour concevoir et construire avec la NASA l'engin qui poussera l'ISS dans notre atmosphère, où elle brûlera en se désintégrant. Ce sera un moment particulièrement émouvant pour les milliers de personnes dans les agences spatiales européenne, russe, japonaise, canadienne et américaine qui ont passé leur carrière à travailler sur l'ISS, et pour les centaines d’astronautes de plus de vingt pays différents qui y ont effectué des missions, pour qui l'ISS était un lieu de travail mais aussi leur maison pendant des mois consécutifs…
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.