Dans leurs chroniques sur euradio, Jeanette Süß et Marie Krpata dressent un état des lieux des relations franco-allemandes et de la place de la France et de l’Allemagne au sein de l’UE et dans le monde. Elles proposent d’approfondir des sujets divers, de politique intérieure, pour mieux comprendre les dynamiques dans les deux pays, comme de politique étrangère pour mieux saisir les leviers et les freins des deux côtés du Rhin.
Le 24 juin, Lars Klingbeil, le ministre des Finances et vice-chancelier allemand, a présenté un projet de budget pour 2025, sur lequel avait buté le précédent gouvernement. Il a aussi présenté un projet de loi permettant de mettre sur pied le fonds spécial pour les infrastructures de 500 milliards d’euros décidé le 21 mars dernier par le Bundestag.
Marie Krpata, j’aimerais commencer par vous demander : Qu’est-il prévu et à quels besoins ce budget et ce fonds répondent-ils ?
Le contexte de ce projet de budget est celui d’un environnement sécuritaire qui évolue et qui oblige l’Allemagne de dépenser davantage dans sa défense. Mais le contexte actuel est aussi marqué par la prise de conscience que le manque d’investissements en Allemagne au cours des dernières années a nui à l’attractivité du pays. Ce projet de budget s’élève à 503 milliards d’euros pour 2025, soit une augmentation d’environ 6% par rapport au budget précédent. Sur cette somme, 81,8 milliards d’euros seraient financés par un endettement.
Il est prévu de doubler le budget de défense de manière progressive jusqu’en 2029 pour atteindre 152,8 milliards d’euros. Cela est rendu possible grâce à l’assouplissement du frein à l’endettement en mars dernier, celui-ci ne s’appliquant pas aux dépenses en armement dépassant 1% du PIB. 3,5% de dépenses militaires sont prévues dès 2029, soit 6 ans avant l’échéance fixée au sommet de l’OTAN à La Haye la semaine dernière.
Quant à l’infrastructure : pour 2025 il est prévu que 22 milliards d’euros soient injectés dans l’infrastructure ferroviaire, autant pour la rénovation des voies que pour la numérisation. 4 milliards d'euros sont destinés au logement social et au financement du développement urbain. Il s’agit de mettre une pierre à l’édifice en matière d’infrastructure dont les besoins étaient estimés à 600 milliards d’euros par l’institut économique IW Köln dans une étude de 2024.
Quelles questions se posent pour la mise en œuvre des sommes prévues ?
On peut rappeler que sur les 500 milliards d’euros de fonds spécial dans les infrastructures 100 milliards d’euros seront dévolus aux Länder et 100 milliards d’euros seront mis à disposition d’un fonds de transformation climatique. Se pose la question comment la répartition se fera entre Länder, les Länder ayant également obtenu le droit de s’endetter. Une clef de répartition mêlant le volume des recettes fiscales et la taille de la population, pourrait s’appliquer ou alors une répartition selon les besoins des Bundesländer.
Sur les dépenses en matière de défense se pose la question de leur effet multiplicateur en Europe, autrement dit : « combien d’argent sera dépensé au profit de la base industrielle et technologique de défense européenne ? ». Hélas il est probable qu’une grosse partie de ces sommes sera bénéfique à la base industrielle et technologique de défense américaine.
Par ailleurs, à ces interrogations s’ajoutent des questions techniques notamment quant à l’accélération des procédures pour que les attentes suscitées en matière d’infrastructure se concrétisent. Le gouvernement de Friedrich Merz souhaite en effet faire valoir le concept d’« intérêt public supérieur » qui permettrait de s’affranchir d’un certain nombre de réglementations susceptibles de freiner la mise en œuvre de projets au titre des 500 milliards d’euros. Face à l’urgence de la situation ce concept s’était déjà avéré utile pour la construction de terminaux à gaz naturel liquéfié (GNL) en Allemagne du nord dans un souci de combler la perte de l’approvisionnement énergétique russe à partir de 2022. Des secteurs concernés par l’accélération des procédures en question seraient notamment les énergies renouvelables et les technologies de télécommunication mobile et de fibre optique. Des doutes s’éveillent cependant quant à la vitesse du déploiement des sommes envisagées un changement de procédures – dans la planification, l’autorisation et la mise en œuvre – ainsi que des capacités supplémentaires en termes de main d’œuvre étant nécessaires.
Quelles sont les réactions suscitées par le projet de budget et le projet de loi du vice-chancelier allemand ?
Certains responsables politiques craignent que l’endettement qu’entraînent ces mesures pèse sur les générations futures qui devront rembourser cette dette. Or, le niveau d’endettement de l’Allemagne est pour l’heure maîtrisé puisqu’il atteint 63% du PIB. Standard & Poors par exemple maintient son triple A pour l’Allemagne malgré la hausse du niveau d’endettement qu’entraînera le déploiement des sommes prévues car l’agence de notation estime que l’endettement sera compensé par de la croissance supplémentaire.
Autre sujet d’inquiétude : l’argent déployé le sera-t-il pour financer des promesses électorales ou les dépenses courantes sans que cela ne soit bénéfique aux générations futures ? C’est ce que pointent du doigt les Verts qui ne lésinent pas sur les critiques, craignant notamment que l’argent puisse servir à développer des énergies fossiles ce qui contreviendrait à l’ambition du fonds de transformation climatique.
En tout état de cause des consultations sur les projets présentés par Lars Klingbeil sont prévues au sein du Bundestag avant la pause estivale. Ce n’est que la première étape à franchir. Le véritable enjeu sera cependant celui de la mise en œuvre.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.
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