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La France et l'Allemagne, moteurs d'une souveraineté minérale européenne ?

Photo de Inayat Ullah sur Pexels La France et l'Allemagne, moteurs d'une souveraineté minérale européenne ?
Photo de Inayat Ullah sur Pexels

Dans leurs chroniques sur euradioJeanette Süß et Marie Krpata dressent un état des lieux des relations franco-allemandes et de la place de la France et de l’Allemagne au sein de l’UE et dans le monde. Elles proposent d’approfondir des sujets divers, de politique intérieure, pour mieux comprendre les dynamiques dans les deux pays, comme de politique étrangère pour mieux saisir les leviers et les freins des deux côtés du Rhin.

Nous allons aujourd’hui nous pencher sur un sujet qui devient de plus en plus incontournable pour la souveraineté technologique de l’UE et qui a d’ailleurs été évoqué au cours du 25e Conseil des ministres franco-allemand qui s’est tenu à Toulon fin août : les minéraux critiques.

Tout d’abord j’aimerais revenir avec vous sur l’enjeu géopolitique de ces minéraux critiques et en quoi l’UE est affectée. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Les minéraux critiques sont au centre de la rivalité sino-américaine. Si les Etats-Unis tentent de garder l’avantage sur la production de semi-conducteurs les plus avancés et interdisent les exportations des technologies indispensables à leur fabrication vers la Chine, la Chine dispose d’un levier qu’elle hésite de moins en moins à actionner pour riposter : les minéraux critiques.

L’Europe est touchée à plusieurs égards : par les contrôles aux exportations américains, d’une part – les entreprises ASML, Zeiss ou Trumpf sont particulièrement affectées ; et par les restrictions à l’exportation chinoises, d’autre part. Sachant que les minéraux critiques sont nécessaires pour la transition numérique et énergétique et pour renforcer les capacités en matière de défense de l’Europe.

Quelques chiffres pour illustrer la domination chinoise pour ce qui est de l’approvisionnement en terres rares : la Chine produit quasiment 70 % des terres rares à l’échelle mondiale, et elle en transforme près de 90 %. En 2023, 86 % de l’approvisionnement de l’UE en « terres rares légères » provenaient de Chine. Concernant les « terres rares lourdes » ce pourcentage atteignait même les 100%. 

Alors comment l’UE ambitionne-t-elle d’agir pour se défaire de cette dépendance ? Quelles sont les ambitions de l’UE en la matière ?

Une législation européenne sur les matières premières critiques (en anglais « Critical Raw Materials Act ») a vu le jour en mars 2024. Celle-ci fixe plusieurs objectifs quantifiés d’ici 2030 : 10 % des besoins annuels de l’UE doivent être produits au sein de l’UE, 40 % doivent être transformés au sein de l’UE et 25 % doivent provenir du recyclage. De plus, au sein de l’UE il devra être fait en sorte de ne pas s’approvisionner à plus de 65 % d’un même pays hors UE. Il s’agit là d’objectifs quantitatifs qui concernent les « matières premières stratégiques », c’est-à-dire celles qui sont considérées comme étant les plus cruciales pour les technologies stratégiques utilisées dans le cadre de la transition verte et numérique, dans la défense et l’aérospatial.

Comment l’UE peut-elle s’y prendre pour atteindre ces objectifs ?

Il s’agit d’abord de construire des chaînes d’approvisionnement résilientes – de l’extraction jusqu’au recyclage.

L'État doit devenir un investisseur stratégique. Pour s’armer contre la volatilité des prix, pour sécuriser l’accès aux ressources minières et lutter contre les éventuelles ruptures d’approvisionnement, l’UE devrait par exemple constituer des stocks stratégiques de matières premières et de métaux.

Par ailleurs, l'Europe pourrait développer des technologies alternatives et plus efficaces que celles actuellement employées dans l’extraction et le raffinage. Il faut donc aussi mettre l’accent sur l’innovation et miser sur des techniques plus respectueuses écologiquement et socialement.

Enfin, des projets stratégiques en coopération avec d’autres pays doivent être envisagés par le biais d’une véritable diplomatie minérale. Celle-ci doit être cohérente et pensée sur le long terme, en tenant compte à la fois des intérêts de l'UE et des fournisseurs. On peut mentionner à ce propos que l’UE a conclu des partenariats stratégiques en matière de minéraux critiques avec une quinzaine de pays sur les deux années qui se sont écoulées.

Quels efforts sont entrepris par la France et par l’Allemagne pour accroître la résilience de l’UE en matière de minéraux critiques ?

Lors du dernier Conseil des ministres franco-allemand du 29 août 2025, la France et l'Allemagne ont esquissé différents projets phares sur lesquels elles souhaiteraient coopérer, l'un d'entre eux visant à soutenir l'économie circulaire et à créer un centre d'excellence dédié aux minéraux critiques.

La France et l’Allemagne vont devoir se rapprocher pour avancer de manière conjointe. Habituellement la France privilégie une politique industrielle axée sur l'État tandis que l'Allemagne, soucieuse de maintenir une distance entre le monde politique et le monde des affaires, fait davantage confiance au marché. Or dans un objectif de résilience technologique, une interaction étroite entre pouvoirs publics, industriels et milieu de la recherche s’impose.

De plus, la France opte traditionnellement pour des partenariats économiques qui suivent davantage une logique géopolitique et stratégique tandis que l'Allemagne, forte de moyens conséquents qu’elle est à même de déployer, se focalise sur des investissements privés et des instruments de promotion du commerce extérieur politiquement plus neutres. Ces approches pourraient être complémentaires.

Il est temps d'agir. Cette urgence semble avoir été comprise, mais l'UE doit faire plus que de se contenter de belles paroles.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.