L'édito européen de Quentin Dickinson

Elon et les autres

© Ketalar de deviantart.com Elon et les autres
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Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.

Cette semaine, QD, vous vous êtes penché sur une forme relativement récente en Europe de dépendance, celle à la kétamine…

De quoi s’agit-il ? Au bout de quelques mois de prise quotidienne de kétamine, l’on commence par détecter du sang dans son urine, et ensuite, par expulser à chaque miction des lambeaux gluants de doublure de la vessie. L’accoutumance à la kétamine entraîne des douleurs insoutenables et un besoin irrépressible de se soulager, de sorte que l’on finit par vivre allongé, entouré de bouteilles, de vases, de casseroles et de récipients divers, dans une odeur persistante d’urine.

Cette sensation de brûlure permanente des voies urinaires devient vite irréversible ; aujourd’hui, la kétamine cause une mort par semaine au Royaume-Uni.

Pourtant, le nombre de kétaminomanes s’accroît de façon spectaculaire en Europe depuis un peu moins de dix ans.

Pour quelle(s) raison(s) ?...

Essentiellement, pour une raison juridique : dans l’Union européenne, pour certains pays, la kétamine est un stupéfiant prohibé, alors que pour d’autres pays, il s’agit d’un médicament, prescrit notamment pour soigner les états dépressifs chez l’homme et comme calmant pour les chevaux, avant un déplacement par la route à bord d’un van.

Du coup, l’introduction de la kétamine dans l’UE en passant par un pays, qui ne reconnait que le classement en produit pharmaceutique de cette substance, permet ensuite le transit sans difficulté vers les pays où elle est interdite pour cause de santé publique.

Voilà qui rend la kétamine infiniment moins détectable que d’autres stupéfiants, prohibés dans toute l’Europe – et les réseaux de criminalité organisée ont été prompts à en comprendre les avantages : aujourd’hui, certes le gramme de kétamine ne se vend au consommateur qu’à environ vingt Euros, alors que la même quantité de cocaïne vaut cinq fois plus cher. Mais les producteurs d’origine, de l’autre côté de la planète, vendent la kétamine, départ laboratoire, à deux cents Euros le kilogramme – la marge bénéficiaire est donc énorme et les risques de détection et de sanctions pénales sont réduits.

En pratique, comment la kétamine arrive-t-elle en Europe ?...

Dans la plupart des cas, elle est fabriquée et conditionnée sous forme de poudre blanche par des grandes entreprises pharmaceutiques en Inde, dont la principale est le groupe SUPRIYA LIFESCIENCE. Jusque-là, rien d’illégal : la demande mondiale légitime de kétamine à des fins médicales ou vétérinaires est très importante.

L’entrée dans l’UE s’effectue par avion et en Allemagne ou, plus rarement, en Autriche. Ensuite, direction : les Pays-Bas, où le produit est reconditionné en petits paquets et les documents douaniers sont trafiqués.

Enfin, par la route et par une noria de camionnettes, stockage en Belgique dans de discrets appartements en location hebdomadaire. La marchandise est maintenant prête à déferler en particulier sur la France et sur le Royaume-Uni.

A quelle clientèle la kétamine se destine-t-elle en particulier ?...

Elle aura en peu de temps éclipsé l’ectasy chez les jeunes adultes ; plus préoccupante est la grande facilité à s’en procurer par les réseaux sociaux, des émoticônes servant de codes de reconnaissance pour la commande.

Surtout, l’on constate un abaissement régulier de l’âge des consommateurs ; actuellement, il n’est pas rare de trouver parmi eux des adolescents de quinze ans.

L’on ne peut donc que regretter qu’en Europe, la répression du trafic de kétamine soit tenue pour secondaire par les services de police, souvent aux moyens limités, par rapport aux efforts majeurs consentis par eux pour freiner la circulation de la cocaïne ou de l’héroïne.

Et où l’on ne félicitera pas Elon MUSK de se targuer ouvertement de sa consommation régulière de kétamine, laquelle explique, au moins en partie, ses apparitions bondissantes, sa gestuelle saccadée, et ses déclarations déconcertantes.

La jeunesse américaine (et ses aînés) mérite assurément de bien meilleures sources d’inspiration.

Un entretien réalisé par Laurent Pététin.


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