L'édito européen de Quentin Dickinson

Cruelle déception

© The White House - Daniel Torock (Le président Donald Trump participe à la première session du sommet du G7, le lundi 16 juin 2025, à Kananaskis, Alberta, Canada.) Cruelle déception
© The White House - Daniel Torock (Le président Donald Trump participe à la première session du sommet du G7, le lundi 16 juin 2025, à Kananaskis, Alberta, Canada.)

Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.

Cette semaine, QD, vous voulez fêter – à votre façon – les six premiers mois du second mandat présidentiel de Donald TRUMP…

Lors de la réélection de Donald TRUMP, les partis politiques d’extrême-droite en Europe ne cachaient pas leur joie : enfin, voilà un héros à leur image à la tête de la première puissance économique et militaire de la planète, champagne ! on allait voir ce qu’on allait voir.

Les plus en extase étaient celles et ceux qui avaient fait le voyage de WASHINGTON pendant la campagne électorale, qui avaient rencontré les ténors de l’équipe de campagne du candidat TRUMP, et même – pour un petit nombre de privilégiés – avaient été reçus à Mar-a-Lago par le grand homme lui-même.

Et nul ne doutait qu’ils s’apprêtaient tous à toucher chez eux les riches dividendes politiques de leur proximité idéologique avec M. TRUMP.

Et, selon vous, QD, c’est bien ce qui s’est passé ?...

Au cours des premières semaines, oui. En Italie, la Première ministre Giorgia MELONI ne tarissait pas d’éloges à l’égard du Président étatsunien, qui, il est vrai, l’avait décrite comme étant une femme formidable ; et, en Allemagne, la Coprésidente de l’Alternative für Deutschland, Alice WEIDEL, avait les yeux de Chimène pour le duo Donald TRUMP-Elon MUSK, préfiguration d’un nouvel ordre mondial florissant, selon cette pourtant économiste de formation.

En février, lors de la Conférence de MUNICH sur la Sécurité, le tout nouveau Vice-président des États-Unis, Jidé VANCE, a fortement souligné le manque de liberté d’expression qui sévit selon lui en Europe, une rengaine habituelle de l’extrême-droite, qui aura aussitôt été saluée en chœur par le Hongrois Victor ORBÁN, le Slovaque Robert FICO, le Néerlandais Geert WILDERS, parmi bien d’autres du même tonneau.

Mais la lune de miel allait être de courte durée.

Comment cela, QD ?...

Principalement en raison de la guerre en Ukraine. Au Conseil européen, Mme MELONI, qui se flatte de souffler à l’oreille du Donald, soutient l’aide à l’Ukraine, elle qui aussi a grand besoin pour son pays des aides financières de l’Union européenne. Mais MM. ORBÁN et FICO s’opposent à la fois au soutien à KYEV et aux sanctions économiques contre MOSCOU.

Toutefois, Mme MELONI se voit contrainte à un périlleux exercice de funambulisme : pour ne pas fragiliser davantage sa coalition gouvernementale ni s’aliéner la base électorale de son parti, Fratelli d’Italia, les élus de celui-ci ont eu pour consigne de s’abstenir lors du vote de motions favorables à l’Ukraine au Parlement européen. Toutefois, les mêmes eurodéputés ont voté en faveur du programme européen de réarmement militaire, ce qui n’empêche pas leur cheffe de s’opposer à la confiscation par le G7 des quelque 200 milliards d’avoirs russes gelés en Belgique.

Compliqué, en effet ! Mais un problème de positionnement assez semblable se pose à l’extrême-droite en France, non ?...

En effet. Il est oublié, le temps où Marine Le PEN faisait des pieds et des mains pour être filmée à la cafétaria de la Tour TRUMP à NEW-YORK…toutefois en l’absence du propriétaire des lieux.

Débiteurs de banques moscovites pour son financement, le Front national et son successeur, le Rassemblement national, ne sont pas vraiment en mesure d’adopter une ligne trop défavorable au Kremlin ; et la volonté, comme ailleurs dans le paysage politique français, de se recommander de l’héritage historique du Général de GAULLE conduit à tenter à ce titre de se démarquer des États-Unis.

Mais la situation du Rassemblement national est de fait plus délicate que celle de ses homologues italiens ou hongrois, puisqu’il n’est pas – et n’a jamais été – au pouvoir. En perpétuelle gesticulation pré-électorale, il se trouve fortement desservi par l’actualité mouvante et de première importance – qu’il s’agisse de Gaza, de l’Ukraine, ou de l’Iran – qui impose de réagir dans l’immédiateté médiatique tout en évitant les incohérences trop visibles.

Ceci ne permet pas toujours d’éviter les couacs : ainsi un tract du RN a-t-il été distribué où l’on voyait Marine Le PEN en conversation amicale avec Vladimir POUTINE, histoire de conférer une stature internationale à la Française. Pas de chance : c’était deux semaines avant l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022.

Pas de chance pour Jordan BARDELLA non plus, lors de son déplacement au congrès des droites dures à WASHINGTON…

…où il a renoncé à prononcer le discours prévu et est rentré prématurément à PARIS. C’est qu’il ne souhaitait pas risquer d’être pris en photo en compagnie de l’idéologue trumpiste Steve BANNON, naguère adulé en Europe, et qui venait sur scène de faire un salut hitlérien, d’ailleurs très applaudi par la salle.

Donc, Donald TRUMP n’est plus en Europe l’infaillible martingale électorale, tel qu’escompté par les mouvances d’extrême-droite de ce côté-ci de l’Atlantique ?...

Non, ses positions successives et contradictoires sur l’Union européenne et sur l’OTAN en particulier donnent le tournis, au point que le consensus paraît être d’éviter de s’exprimer, ne sachant si l’appui apporté à M. TRUMP le lundi ne sera pas désavoué par l’intéressé lui-même le lendemain. Impossible à défendre devant un électorat en Europe, la guerre mondiale des droits de douane, déclenchée par lui, plonge dans la consternation les partis d’extrême-droite. Et ses hésitations, bravaches mais creuses, sur l’implication de son pays dans la guerre entre Israël et l’Iran achèvent de rendre toxique toute référence des ténors européens de l’extrême-droite à une quelconque proximité avec Donald TRUMP, ses amis, et ses œuvres.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.