Dans cette chronique, Nathalie Richard, coach et facilitatrice en transition intérieure et gardienne d’un écolieu dans le Finistère, tente de démystifier un sujet aussi mal compris qu’oublié : la spiritualité.
Cette semaine Nathalie vous nous parlez d’un franchissement de cap, un passage appelé le chas de l’aiguille.
Oui Laurence, cette semaine pour cette dernière chronique de l’année j’ai envie de vous parler de cette image inspirante du chas de l’aiguille.
Kesako me direz-vous !
Le chas de l’aiguille c’est ce trou percé à l’extrémité aplatie d’une aiguille à coudre par lequel on fait passer le fil. Mais pourquoi diable je vous parle de cela aujourd’hui ? Et quel rapport avec la choucroute, enfin avec la spiritualité ?
Certaines ou certains d’entre vous connaissent peut-être cette porte à Jérusalem appelée ‘l’aiguille’. Cette porte est si étroite que lorsqu’un chameau chargé de marchandises s’y présentait, le chamelier devait le débâter entièrement avant de pouvoir le faire passer.
Cette image antique a donné lieu au célèbre versé attribué à Jésus : ‘Il est plus facile à un chameau de passer par le trou qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux.’
Cette métaphore signifie que pour franchir un seuil, il est nécessaire de déposer tout ce qui ne nous est plus essentiel.
Et en quoi cette métaphore peut nous aider aujourd’hui Nathalie ?
Je l’ai répété à quasiment chaque épisode de cette chronique cette année : notre maison brûle.
La canicule de la semaine dernière en témoigne tout comme ce qui se précise comme un échec cuisant des accords de Paris à savoir tenir sous le seuil des 1,5 degrés de réchauffement planétaire depuis l’ère pré industrielle.
Les riches de la métaphore c’est nous, la civilisation occidentale qui a colonisé la planète de son ‘toujours plus’ mortifère va devoir franchir un seuil et se délester fissa de ce qui n’est plus essentiel.
Sinon les discours, comme c’est le cas aujourd’hui, resteront creux, déconnectés et sans effet.
Ce franchissement de seuil, il ne concerne pas autrui, il ne concerne pas le dit système extérieur à nous même, il ne concerne même pas que les plus riches de ce dernier. Il concerne chacune et chacun d’entre nous.
Franchir ce seuil implique de lâcher prise, de nos vieux schémas et des idées que l’on entretient comme l’on se délesterait d’une veille peau inadaptée, de notre vieil égo pour laisser émerger une nouvelle version de soi. Un Soi accordé au futur juste et désirable qui cherche tant à émerger.
Ce futur a besoin de nous. Ce futur a besoin de nous pour se réaliser.
Nous avons tous et toutes besoin de nous tirer vers le haut, vers des potentiels encore inconnus mais absolument essentiels pour la préservation du vivant avec nous dedans.
Et de quels potentiels parlez-vous Nathalie ?
Permettez-moi de relayer une anecdote d’un innovateur américain Peter Senge qui raconte sa rencontre avec le maître zen Nan Huai Chin à Honk Kong au début des années 2000.
Peter lui avait posé la question suivante : ‘Pensez-vous que l’ère industrielle va générer des problèmes environnementaux tels que nous allons nous détruire nous-même ? Devons-nous trouver un moyen de changer nos fonctionnements institutionnels ?’
Après un silence maître Nan avait secoué négativement la tête. Il n’était pas d’accord avec ce point de vue et voyait les choses à un niveau plus profond rapportait Peter.
Maître Nan lui répondit ceci : ‘Il n’y a qu’un seul enjeu dans le monde, la réunification de la matière et de l’esprit.’
Mais qu’est-ce que cela signifie Nathalie ? Que le problème du monde aujourd’hui est la séparation de la matière et de l’esprit ?
Oui. Aujourd’hui nous entendons à tour de bras que le problème c’est le système n’est-ce pas ?
Au sein des organisations, les gens soutiennent que le système est à l’origine de leurs problèmes.
Comme si le dit système était entièrement extérieur à nous même.
Pourtant, comme le partage avec humour le physicien David Bohm ‘la pensée créé le monde’ et l’humain d’aujourd’hui de tout de suite après ajouter ‘Mais c’est pas moi qui l’ai fait.’
Soyons un peu sérieux nous réveille Aurélien Barreau.
Notre maison brûle et nous regardons dehors. Quand pourtant tant d’entre nous brûlent aussi dedans.
Les burn out, les suicides et les violences en tous genres devraient pourtant nous ouvrir les yeux.
Relier la matière et l’esprit c’est faire le trait d’union entre ces 2 réalités à priori disjointes mais intimement intriquées.
C’est l’essence même de la pensée systémique.
Comme le résume Peter Senge : ‘l’essence de cette pensée réside en ce que les personnes se mettent à percevoir la façon dont leurs schémas de pensée et d’interaction se manifestent à grande échelle et créent précisément les forces dont elles parlent quand elles reportent la responsabilité sur le système.’
Et que doit-il alors se passer Nathalie pour que nous nous mettions à percevoir les choses de cette façon ?
On peut dire qu’une bataille est gagnée lorsqu’une personne ou un collectif se met à s’exprimer ainsi : ‘Ça alors ! Regardez ce que nous nous faisons à nous même !’
La pensée systémique est une compétence centrale de notre temps. Elle est à transmettre partout et de toute urgence pour que nous soyons enfin capables de faire le pont et clore la boucle de rétro action entre les comportements manifestant les systèmes et les sources de ces comportements.
Autrement dit, nous devons réfléchir et plonger dans les sources profondes à partir desquelles l’action sociale émerge instant après instant.
Aller voir dans nos tréfonds est une transformation aussi subtile que puissante, aussi existentielle que courageuse.
Le philosophe Martin Buber la résume à merveille et c’est sur cette note exigeante et inspirante que j’aimerais clôturer cette saison de Révolution Spirituelle :
‘Il me faut sacrifier mon petit vouloir esclave régi par les choses et par les instincts, à mon grand vouloir qui s’éloigne de l’action déterminée pour aller vers l’action pré destinée.
Il n’intervient plus mais pourtant il ne se contente pas de laisser faire. Il guette ce qui va se développer au fond de l’être, il surveille le cheminement de ce qui est essentiel dans le monde, non pour se laisser porter par l’essentiel, mais pour le réaliser tel que l’essentiel veut être réalisé.’
Tel est mon rêve pour moi-même comme pour l’humanité.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.