Planète compromise ?

Le fléau de l’orpaillage illégal en Guyane

Le fléau de l’orpaillage illégal en Guyane

Chaque semaine, retrouvez Sophie Lemaître, Docteure en droit, experte des questions de corruption et d’environnement, pour comprendre comment la corruption et les crimes liés à l’environnement mettent en danger notre planète.

L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime vient de publier une analyse mondiale sur les crimes liés aux minerais. Quelles sont les principales conclusions ?

Le rapport part du constat que l’on a besoin des minerais comme le cobalt, le nickel ou le lithium pour la transition énergétique. La demande en minerais critiques peut créer un terrain fertile pour les acteurs criminels qui vont chercher à prendre le contrôle de sites miniers, des routes ou encore à s’infiltrer dans les chaînes d’approvisionnement. La corruption, la fraude et le blanchiment d’argent facilitent l’exploitation minière illégale. Les fausses déclarations d’origine ou de valeur, l’extorsion, l’utilisation de sociétés écran, la dissimulation des minerais précieux font aussi partie du mode opératoire des criminels. Le rapport se focalise en particulier sur l’extraction de l’or et l’orpaillage illégal. D’ailleurs, l’orpaillage illégal est un problème majeur en Guyane française. C’est un désastre humain et écologique.

Vous pouvez nous en dire plus ?

L’extraction illégale de l’or est synonyme de pollution des sols, des cours d’eau du fait des produits toxiques utilisés comme le mercure. Plusieurs fleuves sont touchés. Les poissons sont contaminés. Les populations sont donc exposées à de graves risques sanitaires et à des maladies. Les forêts sont également détruites. Et vu le prix du gramme de l’or, la chasse effrénée pour l’or n’est pas prête de s’arrêter. Sans compter les violences commises par les réseaux criminels avec des règlements de compte et l’usage de la force contre les populations mais aussi des trafics divers, de la prostitution et des problèmes liés à une forte consommation d’alcool et de drogue.

Comment se passe le trafic d’or en Guyane française ?

La majorité de l’or produit dans la région provient de sites illégaux. La Guyane française compterait 400 sites. Environ 10 tonnes sont illégalement exportées chaque année. Des orpailleurs clandestins qu’on appelle les garimpeiros (les chercheurs d’or en français) viennent du Brésil et du Suriname voisins pour extraire l’or. Ils espèrent gagner de l’argent et avoir un meilleur avenir que dans leurs pays. Les frontières sont poreuses et donc il est très facile pour eux d’entrer en Guyane française. Des chinois installés du côté du Suriname tiennent des comptoirs, on en compterait d’ailleurs plus d’une centaine. Leur rôle ? Vendre le matériel nécessaire à l’orpaillage, assurer l’approvisionnement et proposer de financer les opérations. La présence de ressortissants chinois dans l’orpaillage illégal n’est pas spécifique à la Guyane française. Ils jouent un rôle similaire à Madagascar ou au Mali. Enfin, des réseaux criminels contrôleraient l’orpaillage illégal. Ils sont agiles et lorsque des sites sont détruits, ils se déplacent et ouvrent d’autres sites miniers.

Quelles mesures le gouvernement français a-t-il mis en place ?

En 2008, il a créé la mission Harpie qui associe gendarmes et militaires des forces armées en Guyane. Ils mènent des actions de destruction des sites, d’interpellation et de saisie pour juguler ce trafic d’or et pousser les orpailleurs clandestins à cesser leurs activités. Au mois d’avril, ils ont, par exemple, démanteler un réseau entier de logistique. 10 tonnes de matériel et 7 tonnes de vivres ont été saisies. Elles étaient destinées à ravitailler des sites d’orpaillage illégaux dans la forêt guyanaise. L’Etat dépense chaque année au moins 70 millions d’euros pour lutter contre ce fléau. Le bilan d’Harpie est plutôt positif mais insuffisant face à l’ampleur du problème. En plus, les opérations réalisées ne sont pas sans risques. Une dizaine de militaires ont été tués ces dernières années. Outre la mission Harpie, le gouvernement et les différentes parties prenantes en Guyane française réfléchissent à la manière de favoriser l’exploitation légale de l’or.

Une interview réalisée par Laurence Aubron.

Sources :

UNODC, Global Analysis on Crimes that Affect the Environment – Part 2b: Minerals Crime: Illegal Gold Mining, 2025

Le Monde, En Guyane, la soif de l’or ne faiblit pas, au prix d’un désastre écologique, 2024

France Guyane, Démantèlement inédit d'un vaste réseau logistique d'orpaillage illégal en Guyane, 2025

France Culture, Épisode 3/3 : Orpailleurs en Guyane : de l’or sur les mains, 2024

Fondation pour la recherche stratégique, Comptoirs et réseaux transnationaux chinois, moteurs de l’orpaillage illégal en Guyane française, 2023

National Geographic, Chercheurs d’or clandestins en Guyane française : la fortune à tout prix, 2020