L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

Reconnaissance de la Palestine à l'ONU : et après ?

Photo de Ehimetalor Akhere Unuabona sur Unsplash Reconnaissance de la Palestine à l'ONU : et après ?
Photo de Ehimetalor Akhere Unuabona sur Unsplash

Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

Que retenir de l’Assemblée générale de l’ONU qui s’est tenue cette semaine à New-York ?

Sans surprise, l’événement marquant, c’est la reconnaissance par la France de l’État de Palestine. Emmanuel Macron a voulu frapper fort, avec ce geste qualifié d’historique. Mais attention : il faut bien voir que c’est d’abord un symbole, pas une avancée concrète sur le terrain. Le Président français a d’ailleurs posé deux conditions préalables : pas de rôle pour le Hamas et un cessez-le-feu avec libération des otages. Bref, on est dans le registre politique, pas dans la construction réelle d’un État. D’autant que sur ces deux conditions, on imagine mal le Hamas les accepter étant donné qu’il ne peut subsister que si la guerre se poursuit…

Comment ont réagi les Européens ?

Certains ont suivi la France : le Portugal, la Belgique, le Luxembourg, Malte, l’Andorre et même le Royaume-Uni de Keir Starmer. Mais les poids lourds, l’Allemagne et l’Italie, eux, n’ont pas bougé. Et contrairement à ce qu’on peut entendre, ce n’est pas simplement par frilosité : c’est parce que, pour Berlin comme pour Rome, la reconnaissance d’un État doit être l’aboutissement d’un processus, pas son commencement. Reconnaître un État qui n’a pas encore les conditions minimales d’existence, c’est un peu mettre la charrue avant les bœufs.

Justement, quelles sont ces conditions pour construire un État ?

Elles sont claires, et universelles :

  1. Une légitimité politique reconnue à l’intérieur et à l’extérieur. Aujourd’hui, la Palestine n’a ni leadership unifié, ni capacités d’organiser des élections crédibles dans un temps court.
  2. Le monopole de la force : c’est-à-dire une seule autorité qui contrôle les armes. Tant que le Hamas reste une milice autonome, cette condition n’est pas remplie.
  3. Des frontières établies et reconnues. Or, aujourd’hui, le territoire palestinien est morcelé entre la bande de Gaza d’un côté sans continuité territoriale avec la Cisjordanie, elle-même grignotée par de multiples colonies israéliennes.
  4. Une économie viable, qui permette de financer l’administration et d’offrir un avenir à la population. Sur ce point l’Autorité Palestinienne comme le Hamas à Gaza ont toujours échoué et ces territoires vivent sous perfusion constante.
  5. Une réconciliation nationale autour d’un projet collectif, pas seulement autour de la vengeance contre Israël (sinon ce ne sera que temporaire).
  6. Un soutien international massif et durable, pas juste une reconnaissance ponctuelle.

Peut-on comparer avec d’autres exemples dans l’histoire récente ?

Oui, le cas du Kosovo est éclairant. Quand il a proclamé son indépendance en 2008, il n’a pas suffi de lever un drapeau. Il a fallu plus de dix ans d’accompagnement international, de missions de l’ONU et de l’UE, de démilitarisation, de milliards d’euros d’aide, pour bâtir des institutions à peu près fonctionnelles. Et même aujourd’hui, les tensions persistent. En Palestine, le chemin serait encore plus ardu : un territoire fragmenté, une guerre en cours, des dirigeants sans légitimité claire, l’absence de volonté d’Israël pour l’instant en tout cas d’accompagner le processus et des États arabes pour qui la question palestinienne n’est et n’a jamais été la priorité. Bref, on est très loin d’un État viable.

Que retenir en conclusion ?

En réalité, la question n’est pas seulement : faut-il reconnaître la Palestine ? mais plutôt : comment construire un État palestinien viable, et avec qui ? La réponse demandera des années, peut-être une génération. Et elle ne viendra pas seulement d’un vote à l’ONU ou d’un discours à Paris. Elle viendra d’un effort collectif : des Palestiniens eux-mêmes, des Israéliens, des pays arabes, et d’une communauté internationale qui s’engage sur le long terme. La reconnaissance française, c’est une étincelle symbolique. Mais pour qu’elle devienne une lumière durable, il faudra du temps, des compromis et, surtout, le courage politique de tous les acteurs concernés. 

Un entretien réalisé par Laurent Pététin.