Échos d'Europe

Bernard Valluis, « Le rôle de l’engagement citoyen en Europe dans la lutte contre l’insécurité alimentaire et l’exclusion sociale »

© Wikimedia Commons -Benoît Prieur Bernard Valluis, « Le rôle de l’engagement citoyen en Europe dans la lutte contre l’insécurité alimentaire et l’exclusion sociale »
© Wikimedia Commons -Benoît Prieur

Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.

Confrontations Europe a publié un article de Bernard Valluis, Président de la Fédération européenne des banques alimentaires intitulé « le rôle de l’engagement citoyen en Europe dans la lutte contre l’insécurité alimentaire et l’exclusion sociale ».

Quelle est l’ampleur de l’insécurité alimentaire, y compris dans les pays riches ?

On associe souvent la faim aux pays en développement. Pourtant, les chiffres montrent qu’elle est bien présente partout. Dans son dernier rapport, la FAO estime que 735 millions de personnes dans le monde souffrent de sous-nutrition, un chiffre en hausse constante depuis plusieurs années. Et ce n’est pas qu’un problème du Sud global.

Aux États-Unis, par exemple, 13,5 % des foyers américains sont touchés par l’insécurité alimentaire en 2023, selon les données du ministère de l’agriculture. C’est énorme pour un pays aussi riche. C’est d’ailleurs là qu’est né le mouvement des banques alimentaires, en 1947.

Et en Europe, Eurostat estimait en 2023 que 9,5 % de la population de l’UE n’avait pas les moyens d’accéder à une alimentation satisfaisante tous les jours. C’était déjà 8,3 % l’année précédente. Autrement dit, la tendance est à la hausse.

Comment l’Europe organise-t-elle la lutte contre la précarité alimentaire ?

L’Europe n’est donc pas épargnée, et elle s’est dotée de plusieurs outils pour répondre à ce défi. L’un des plus structurants, c’est le Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD), qui a mobilisé 3,8 milliards d’euros entre 2014 et 2020. Il est aujourd’hui intégré dans le Fonds social européen (FSE+), un grand programme doté de 90 milliards d’euros jusqu’en 2027. Au moins 3 % de ce montant est consacré à des soutiens en nature, comme l’aide alimentaire.

Un autre outil intéressant est le programme pour l’emploi et l’innovation sociale, EaSI, avec un budget de 762 millions d’euros, destiné notamment à soutenir les initiatives citoyennes et associatives. Il faut aussi noter que ces fonds européens sont souvent cofinancés par les États membres, ce qui permet de renforcer leur impact sur le terrain.

Quel rôle jouent les banques alimentaires, et comment fonctionnent-elles aujourd’hui ?

Les banques alimentaires sont devenues des acteurs essentiels de la lutte contre la précarité. En Europe, c’est en 1984 que le mouvement a démarré en France, puis s’est structuré au niveau européen avec la création de la FEBA en 1986. Aujourd’hui, elle regroupe 352 banques alimentaires dans 30 pays, dont 22 au sein de l’Union européenne.

En 2023, ce réseau a permis de distribuer 840 000 tonnes de nourriture à près de 13 millions de personnes. Et ce qui est important c’est que ces structures ne se limitent pas à la simple distribution de colis : elles s’inscrivent dans une démarche plus large d’accompagnement, incluant des actions sur le logement, l’emploi ou encore la santé.

Leur efficacité est aussi économique : chaque euro investi par les pouvoirs publics dans les banques alimentaires peut générer jusqu’à dix fois plus de valeur en retour, notamment grâce au bénévolat, au don alimentaire et aux partenariats avec les entreprises.

Mais alors, quel est le rôle des citoyens dans la lutte contre la précarité alimentaire ?

Et justement, cette efficacité repose largement sur l’engagement des citoyens. Qu’ils soient donateurs, bénévoles ou électeurs, les Européens participent directement et indirectement à ce combat. On estime qu’il y a des dizaines de milliers de bénévoles dans les réseaux de banques alimentaires rien qu’en France.

Mais cet engagement peut aussi être politique, à travers les choix électoraux ou les débats publics sur les politiques sociales, les aides au logement, au revenu ou encore sur la fiscalité liée aux dons.

Il y a aussi des formes plus innovantes d’engagement citoyen avec les applications de lutte contre le gaspillage alimentaire, les collectes solidaires, les épiceries sociales ou encore les coopératives de consommateurs.

Enfin, notre article rappelle que la mobilisation des citoyens est un levier de pression sur les décideurs pour que ces politiques soient durables et ambitieuses.

Si le défi de la pauvreté doit interpeller tous les citoyens européens, leur fort engagement doit se poursuivre sous toutes ses formes pour remédier à la précarité alimentaire et à l’exclusion sociale.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.

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