Alice Collin est avocate au Barreau de Bruxelles, en droit public et européen. Après avoir étudié les sciences politique et le droit, elle s'est spécialisée en études européennes au Collège d'Europe à Bruges.
Dans une décision rendue le 29 avril dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a condamné Malte pour son programme de « passeports dorés ». Elle estime que vendre la nationalité d’un État membre — et donc la citoyenneté européenne — contre de simples investissements est contraire au droit de l’Union. Pour commencer, qu’est-ce que ce fameux programme des « passeports dorés » mis en place par Malte ?
C’est un programme lancé en 2020, qui permettait à des ressortissants de pays tiers — donc non-européens — d’obtenir la nationalité maltaise en échange d’un investissement financier.
Concrètement, il suffisait d’acheter un bien immobilier, de faire un don à un fonds d’État ou d’investir dans l’économie locale pour pouvoir demander un passeport. Et comme Malte est un État membre de l’Union européenne, ce passeport ouvrait automatiquement l’accès à la citoyenneté européenne, avec tous ses droits : liberté de circulation, droit de vote local, accès au marché du travail européen, etc.
Et pourquoi la Cour de justice de l’Union européenne a-t-elle jugé que ce programme violait le droit européen ?
Parce qu’il transformait, selon la Cour, l’octroi de la nationalité en une simple transaction commerciale. Or, la citoyenneté européenne n’est pas un produit qu’on peut acheter. Elle repose sur un lien de loyauté et de solidarité entre un individu et un État membre, et entre les États membres entre eux.
La Cour a rappelé que si chaque pays reste souverain pour accorder sa nationalité, cette compétence doit être exercée dans le respect du droit de l’Union, notamment du principe de coopération loyale. Autrement dit, Malte ne peut pas accorder un passeport qui donne accès à toute l’UE sans que cela respecte les valeurs et les règles communes.
Malte n’est-elle pas libre de décider à qui elle donne sa nationalité ?
C’est vrai, et la Cour le reconnaît explicitement. Mais elle précise que cette liberté nationale s’arrête là où commence le droit européen. Accorder la nationalité maltaise, c’est accorder, de fait, la citoyenneté de l’Union. Et cela ne peut pas se faire sans respecter les conditions de confiance mutuelle entre les États. La nationalité ne peut pas devenir un outil de contournement pour accéder aux droits européens, en particulier dans un contexte où certains États ont mis finà ces programmes pour des raisons de sécurité, de corruption ou de blanchiment d’argent.
Et concrètement, quelles conséquences cette décision de la Cour aura-t-elle pour Malte et pour d’autres pays européens ?
D’abord, Malte doit mettre fin immédiatement à ce programme, faute de quoi la Commission européenne pourrait lui infliger des sanctions financières. Ensuite, cette décision crée un précédent fort : elle confirme que la citoyenneté européenne est liée à un engagement réel envers un pays, et pas à une somme d’argent.
Pour les autres États membres qui proposaient encore des programmes similaires, le message est clair : la citoyenneté de l’Union ne peut pas être monnayée. D’ailleurs, Chypre et la Bulgarie ont déjà abandonné leurs dispositifs dans les années précédentes. Cette décision pourrait donc marquer la fin des « passeports dorés » dans toute l’Union.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.