« Entendez-vous la Terre ? », c’est le nom que porte la chronique réalisée par Fanny Gelin, étudiante en master Affaires Européennes à Sciences Po Bordeaux, qui décode pour vous chaque jeudi l’actualité environnementale de l’Union européenne.
Quels ont été les moments verts de la semaine qui vient de s’écouler ? On en discute tout de suite avec Fanny Gelin. Bonjour et bienvenue ! Alors, dites-moi : que nous dit la Terre cette semaine ?
La Terre nous parle obsolescence programmée cette semaine. L’entreprise Microsoft a récemment annoncé qu’elle cessera d’assurer gratuitement les mises à jour de son logiciel Windows 10 à compter du 14 octobre prochain. L’objectif : forcer les utilisateurs à passer à son dernier-né Windows 11. Le problème, c’est que près de 400 millions d’ordinateurs dans le monde sont concernés et pourraient être jetés à la poubelle alors même qu’ils sont en parfait état de fonctionnement.
C’est problématique en effet… N’y a-t-il pas d’alternatives ?
Il existe effectivement trois solutions pour continuer à utiliser Windows 10 : ne rien faire mais avec un risque important de failles de sécurité et de cyberattaques, obtenir un sursis en payant un abonnement à 26€ par an ou bien acheter un nouvel ordinateur. On voit bien que le choix reste limité. En réalité, les utilisateurs n’ont pas le choix : ils seront rapidement forcés de remplacer leur équipement électronique. Que ce soit du point de vue financier ou écologique, cette mesure serait désastreuse.
Désastreuse, c’est-à-dire ?
Eh bien, pour vous donner un exemple, l’association Halte l’obsolescence programmée estime que cette fin des mises à jour logicielles entraînerait un coût d’environ 10,4 milliards d’euros pour les internautes à l’échelle mondiale. Et en plus de peser lourdement sur le budget des administrations et des ménages les plus modestes, ce remplacement massif d’ordinateurs fonctionnels mais obsolètes représenterait plus de 70 millions de tonnes de gaz à effet de serre et l’équivalent du poids de près de 32 000 tours Eiffel de matières premières extraites, notamment de métaux rares. Autant de déchets électroniques que l’on ne peut pas se permettre de créer dans un contexte de crise climatique.
Justement, j’ai cru comprendre qu’une pétition avait été lancée pour contrer cette mesure.
Effectivement. Plusieurs entreprises et associations comme UFC-Que Choisir, France Nature Environnement, Emmaüs ou les Amis de la Terre se sont fédérées pour former la coalition Non à la taxe Windows. Leur première action a été de lancer une pétition pour contraindre Microsoft à continuer les mises à jour gratuites au moins jusqu’en 2030. Et cette action a fonctionné puisque Microsoft a finalement accordé une année supplémentaire de mises à jour gratuites aux citoyens européens.
Est-ce que cette concession a un rapport avec la réglementation européenne en matière d’obsolescence programmée ?
C’est plus que probable. En effet, un règlement sur l’écoconception pour des produits durables a été adopté en 2024. Et ce règlement comprend l’interdiction de l’obsolescence programmée à l’échelle de l’UE, notamment via l’obligation de mises à jour logicielles garantissant que les appareils électroniques ne deviennent pas prématurément obsolètes. En théorie, si l’on s’en tient à ce règlement, l’annonce de Microsoft pourrait être contraire au droit européen. La perspective de possibles actions en justice a sûrement conduit l’entreprise à lâcher du lest.
Mais même si les Européens disposent d’un sursis temporaire, le problème de fond est toujours présent. Ne peut-on pas aussi agir à l’échelle individuelle ?
Bien sûr. Il est possible de sortir de notre dépendance envers les géants du numérique en se tournant vers des systèmes d’exploitation libre qui ne dépendent pas des mises à jour logicielles du fabricant. Par exemple, le site l’Agenda du Libre propose des événements dans toute la France pour apprendre à installer des logiciels open source comme Linux. Face à l’ultimatum de l’obsolescence programmée, il s’agit avant tout de s’extirper de l’illusion d’une absence de choix car nous restons toujours libres de penser autrement.
Merci Fanny. Je rappelle que vous êtes étudiante en master Affaires Européennes à Sciences Po Bordeaux.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.